Exposition collective 13.09 - 03.11.2024 Exposition collective

This is the time of sweet sweet change for us all

Une proposition et un texte d'Oriane Emery & Jean-Rodolphe Petter

Le titre de l’exposition fait référence au film « Born in Flames » réalisé par Lizzie Borden (Détroit, Michigan US) en 1983.

Ce film nous ayant marqué·e·s, avons eu envie de penser et construire une exposition autour de sa narration et de son environnement. Il décrit une armée féminine clandestine qui se développe dans un New York dystopique. Alors que l’agitation sociale secoue la rue, des brigades de femmes à vélo parcourent le paysage urbain sinistre pour repousser notamment les violeurs. Mais la tension dramatique découle en grande partie des efforts déployés par les femmes – racisées et blanches, queer et hétérosexuelles, de la classe ouvrière et de l’élite – pour se comprendre et travailler ensemble.

Considéré par le cinéma dans le genre de la science-fiction au moment de sa sortie, son discours est tout à fait contemporain et réel quarante ans plus tard. Sa radicalité propre au genre de l’essai interpelle et stimule la réflexion sur les rouages de notre société et la place qu’y prend la violence.

Vue d'exposition

Vue d'exposition "This is the time of sweet sweet change for us all", CALM – Centre d'Art La Meute, 2024, photo : Théo Dufloo.

Cette exposition rassemble des femmes qui témoignent, dans leur travail respectif, de liens politiques avec le film ou esthétique avec le genre de la science-fiction et des cultures underground. La scénographie de l’exposition est une mise en abîme urbaine, entre espaces denses et ouverts, oppressants et délivrants, de la grille, module reproductible aux places ouvertes. Il était question d’intégrer, à l’instar du modèle de la ville générique (Rem Koolhaas) que constitue Manhattan, le primordial et le futuriste.

Dès lors, l’installation de Gaëlle Choisne, adaptée pour l’architecture du centre d’art, nous invite depuis l’espace convivial du Café du Loup à nous engager dans un réseaux de treillis d’armature dressés à la vertical. Les drapeaux, peints à la main, sont inspirés des bannières politiques utilisées lors des élections en Haïti et ont été réalisés à Port-au-Prince par le graphiste James Ford Auguste. Par ces drapeaux et le cycle Temple of Love (ici Tolalito), l’artiste explore l’amour comme forme de résistance, le deuil comme soin collectif et rend hommage aux victimes de l’esclavage et des colonisations d’hier et aujourd’hui. Prêtresse de Bacchus, épouse d’empereur ou elle-même, Élie Autin (vit et travaille à Lausanne) a développé son travail plastique autour de la figure mythologique et de ses suivantes les bacchantes. La séduction, l’extase et la perdition font partie intégrante de l’image fantasmée du New York des années 1980. Les flèches réalisées en cheveux synthétiques nous guettent, nous attirent et nous repoussent mais protègent également le coussin orné de bijoux, symbole de luxure et d’érotisme.

Gaëlle Choisne,<strong> </strong><em>Temple of Love – To be Ascetic (Totalilo)</em>, détail, sélection de 5 drapeaux peints à la main sur grilles métalliques, 2021, courtoisie galerie Air de Paris, photo : Théo Dufloo.

Gaëlle Choisne, Temple of Love – To be Ascetic (Totalilo), détail, sélection de 5 drapeaux peints à la main sur grilles métalliques, 2021, courtoisie galerie Air de Paris, photo : Théo Dufloo.

Élie Autin,<strong> </strong><em>Pillow, </em>coussin cousue main et rehaussé d’ajouts cousus, 60 x 50 cm, 2023.<em>Arrows</em>, ensemble de flèches en cheveux synthétiques trempés dans de la résine, dimensions variables, 2024, photo : Théo Dufloo.

Élie Autin, Pillow, coussin cousue main et rehaussé d’ajouts cousus, 60 x 50 cm, 2023.Arrows, ensemble de flèches en cheveux synthétiques trempés dans de la résine, dimensions variables, 2024, photo : Théo Dufloo.

L’exposition se déploie à présent sur la salle principale. Sont visibles des œuvres d’une autre facture, tournée vers le corps, le métallique, la machine ou flirtant avec un imaginaire futuriste. En prolongation de l’entrée, se déploie au sol la sculpture de l’artiste émergente Emma Passera. Par le biais d’une économie très pauvre, chacun des éléments assemblés par l’artiste trouvent leur place dans une esthétique du chaos et de l’entre-deux. Le reflets sur la vitres des moules en aluminium effectués d’après son propre corps expriment une attitude, une latence que ses œuvres juxtaposent à l’envie de sortir du cadre. En pendant, les sculptures réalisées par l’artiste coréenne Yein Lee se déplacent. Elles s’activent par le biais de la performance. Ces êtres com- posées de câbles électriques recyclés ne possèdent que peu d’attributs humains. Les per- formeureuses, au moment du vernissage, entrent dans la danse et donnent vie à cet ensemble dont on ne sait s’il évoque le futur, un présent apocalyptique ou un passé technologique révolu.

Emma Passera,<strong> </strong><em>7 days without you</em>, détail, bras et jambe en aluminium, miroir, vitre, 260 x 130 cm, 2024, photo : Théo Dufloo.

Emma Passera, 7 days without you, détail, bras et jambe en aluminium, miroir, vitre, 260 x 130 cm, 2024, photo : Théo Dufloo.

Yein Lee,<strong> </strong><em>Poursuivant / Pursuers</em>, installation composée de trois sculptures sur roulettes en câbles électrique, dimensions variables, 2024, photo : Théo Dufloo.

Yein Lee, Poursuivant / Pursuers, installation composée de trois sculptures sur roulettes en câbles électrique, dimensions variables, 2024, photo : Théo Dufloo.

Cette esthétique est quelque peu partagée par Chloé Delarue, artiste d’origine française basée à Genève. En effet, cette dernière joue avec les codes de la machine: lumière, métal, répétition. Le cycle perpétuel d’une machine se rompt parfois, se rouille ou entre en phase avec le développement des éléments aux alentours. Ces « environnements » comme les nomme l’artiste, hétéroclites, sont composés d’une multitude de détails révélé au public par l’éclairage led de leur structure. La machine et son roulement, le corps, sont des notions chères à l’artiste allemande Rebecca Horn (1944-2024). Décédée le 6 septembre dernier, le mouvement de l’artiste s’est éteint. Ses oeuvres, dont le mécanisme sera conservé pour les générations futures perdureront. A l’exemple de cette Brush Machine (ou Machine à pinceaux) réalisée en 1989 puis acquise la même année par la collection AL’H. Première exposition depuis 35 ans, ce papillon mécanique, dont le mouvement est à la fois bruyant et élégant, est situé en hauteur. Il surprend autant qu’il rappelle sa présence. En fonction quelques fois par jour, aurez-vous la chance de le voir battre des ailes ?

Chloé Delarue,<strong> </strong><em>TAFAA - UNNECESSARY DOUBT (SNITCH II)</em>, latex, résine, impression par transfert, aluminium, tubes fluorescents, 240 x 90 x 20 cm, 2024, courtoisie galerie frank elbaz, photo : Théo Dufloo.

Chloé Delarue, TAFAA - UNNECESSARY DOUBT (SNITCH II), latex, résine, impression par transfert, aluminium, tubes fluorescents, 240 x 90 x 20 cm, 2024, courtoisie galerie frank elbaz, photo : Théo Dufloo.

<strong>Rebecca Horn, </strong><em>Brush Machine</em>, 14 pinceaux, métal, moteur, transformateur 12v, minuterie mécanique, 30 x 45 x 33 cm, 1989, courtoisie coll. AL'H, photo : Théo Dufloo.

Rebecca Horn, Brush Machine, 14 pinceaux, métal, moteur, transformateur 12v, minuterie mécanique, 30 x 45 x 33 cm, 1989, courtoisie coll. AL'H, photo : Théo Dufloo.

idem

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L’exposition se termine ou recommence avec une nouvelle production de Salomé Chatriot, artiste française diplômée de l’ECAL, désormais établie à Paris. Son travail se concentre sur la création d’espaces physiques et virtuels. Composée de quatre éléments, la peinture émaillée côtoie l’impression numérique et l’aluminium Dibond. L’énergie qui émerge de la composition souligne l’environnement architectural, mais également naturel de l’éco-quartier en pleine muta- tion.

– This is the time for sweet sweet change for us all –

Telle est la phrase marquante la fin de l’intervention radiophonique d’Isabel et Honey (Phoenix Ragazza Radio Station) dans le film de Lizzie Borden Born in Flames. Elle marque aussi la fin de ce texte, pensé comme une première visite. Un premier contact avec ces artistes dont le travail, chacune à leur manière, poursuit le message radical et l’engagement passionné de la réalisatrice américaine en faveur de l’égalité et de la résistance.

Salomé Chatriot,<strong> </strong><em>Honey Time 4</em>, peinture à l’huile et émail sur aluminium (quatre parties), 210 x 176 x 5 cm, 2024, courtoisie New Galerie, photo : Théo Dufloo.

Salomé Chatriot, Honey Time 4, peinture à l’huile et émail sur aluminium (quatre parties), 210 x 176 x 5 cm, 2024, courtoisie New Galerie, photo : Théo Dufloo.

Le projet "This is the time of sweet sweet change for us all" a été réalisé grâce aux généreux soutiens de la Ville de Lausanne, Pro Helvetia, du Canton de Vaud, la Ville de Vienne, Austrian Ministry of the Arts, Culture, the Civil Service and Sport et l'Österreichisches Kultur Forum Bern.